• critique de Globe-trotter de David Albahari

    critique de  Globe-trotter de David AlbahariRue du Glouton, rue du Grizzli, rue du Bison. La ville de Banff,au cœur des Rocheuses canadiennes, ressemble à un Disneyland, à quelque chose d’artificiel – un truc hors du temps, hors du monde, c’est-à-dire hors des guerres. L’Amérique du Nord, bien calée dans les starting-blocks de l’avenir, ignore – ou oublie, c’est pareil – qu’un bout d’Europe, désormais nommée « ex » comme ex-Yougoslavie, était il y a peu de temps encore à feu et à sang. David Albahari est lui aussi un ex. Serbe, juif, bosniaque, il s’est exilé en 1994 à Calgary, Alberta, où il enseigne à l’université. Son quatrième livre traduit en français (un superbe tour de force !) met en scène, dans cette étrange ville de Banff, un peintre (du pays) qui est aussi le narrateur, un écrivain de passage (serbe, juif) et un petit homme gris, né au Canada mais de parents croates. Le trio, plutôt improbable, divague, fait du dérapage contrôlé pseudo-littéraire ou philosophico-railleur.
    Ils dissertent, parfois toutes griffes dehors, sur l’art de créer, leur appartenance à une solitude inéluctable, ou encore sur l’histoire, qui serait une sorte de garce. Ils boivent énormément, se racontent des balivernes qui se révèlent toutes choses extrêmement sérieuses. Et s’interrogent : y a-t-il de bons et – à l’inverse – de mauvais peuples ?


    David Albahari les fait s’enivrer d’élucubrations aussi drôles que fracassantes, entre innocence et identité bousillée, utopie et désespérance. Il prête à leur mal de vivre une écriture proche de la soûlographie. Les phrases sont trompeuses, longues, hantées de réminiscences douloureuses, ponctuées d’insolite, mais elles approchent – et c’est magique – la grâce.
    David Albahari et ses compatriotes Vladimir Tasic (exilé lui aussi au Canada) et Svetislav Basara (1) décrassent la littérature.


    Ils ne craignent ni de dire, ni, surtout, d’inventer une écriture.