• Histoire : Apologie pour Clytemnestre

     

    Après Marie-Antoinette l’insoumise, (voir aussi la biographie d'Hélène Delalex : Marie-Antoinette) Simone Bertière passe à une Apologie pour Clytemnestre. Est-ce un bon titre ?

    Explicite et objectif, il laisse entendre que Simone Bertière a pris sa cause en main et la défend.

    La réalité est beaucoup plus subtile. C’est Clytemnestre elle-même qui vient à nous, se présente et s’explique — je ne dis pas se justifie. Tient-elle vraiment à ce que nous appelons une « réhabilitation » ? Ce qui lui importe, c’est de dire : voilà qui je fus, ce qu’il m’est advenu, et qui je reste, version souvent bien différente de ce que vos poètes ont fait de moi. De la part de Simone Bertière, propos beaucoup plus habile s’il s’agit de sauver l’honneur d’une femme, beaucoup plus fécond s’il s’agit d’interroger un personnage devenu mythique.  

                Ainsi donc, avec l’élégance du naturel, qui sied à une reine, la fille de Tyndare et l’épouse d’Agamemnon nous raconte son histoire. Et c’est un véritable bonheur, même si l’horreur n’en est pas absente. Pourquoi ? Parce que ce long récit, servi par une langue admirable, est un produit de double imprégnation. Imprégnation de nature : la vie quotidienne en Grèce dans l’éclat des temps épiques. Imprégnation de culture, toute la fable ordonnée et comme filtrée par la voix d’une femme, la voix d’autorité et d’authenticité que Simone Bertière prête à Clytemnestre. Ils sont là tous, les grands textes, d’Homère à Euripide, de Racine à Giraudoux, et le moindre plaisir n’est pas de les reconnaître au passage, et d’admirer avec quel art de rhapsode ils sont fondus. Clytemnestre les connaît tous, mais, déroulant le fil de sa vérité, elle les juge. Et ce double critère de cohérence narrative et de vraisemblance psychologique est une saisissante leçon de critique littéraire.

                Ce n’est pas tout. Ce qui fait là un grand livre, c’est sa charge d’humanité. « En vous parlant de moi, je vous parlerai de la vie, de la mort, de l’amour, de la maternité. De la guerre et du pouvoir. De l’or et des richesses. De la vengeance, de la violence. Et des hommes qui se prennent pour des dieux. De vous, en somme… » Clytemnestre est-elle coupable ou innocente, bonne ou méchante, haïssable ou émouvante ? Laissons-la débattre de ces questions avec Euripide, qu’elle rencontre aux Enfers, comme dans les Dialogues des morts de Lucien. Le véritable enjeu est d’une autre portée : Clytemnestre est porteuse d’humanité. Son humanité à elle, qui est celle d’une petite fille, d’une sœur, d’une épouse, d’une mère, d’une amante, d’une reine. C’est beaucoup. L’humanité de ceux qui ont croisé son chemin et son destin, et qui ont dépendu d’elle. C’est beaucoup plus encore. C’est même, par figures, l’humanité tout entière, et bonne part de la divinité. Or, tout ce poids de la chair aux prises avec le cœur et l’esprit — allons jusqu’à dire l’âme, tout ce combat entre le bien et le mal, il trouve incarnation dans une femme que nous a léguée, il y a près de trois mille ans, la littérature d’un pays qui s’appelle la Grèce.

               

    Simone BERTIÈRE, Apologie pour Clytemnestre, de Fallois, 304 p., 18 €